Marseille résiste à l’interprétation. Ou plutôt, il existe autant d’interprétations que d’individus. La plupart de ses habitant·es descendent de celles et ceux venus d’ailleurs. Au fil des siècles, le Vieux-Port absorbe ou rejette ses rejetons au gré des invasions, épidémies, rassemblements, retrouvailles, opportunités. Au milieu du XXe siècle, c’est la guerre qui pousse sur ses quais des Européens en quête d’un nouveau départ. Dans le roman Transit d’Anna Seghers, écrit après son séjour à Marseille dans les années 1940, le narrateur erre entre cafés, consulats et planques, entouré d’autres vies en transit. Le mouvement de ses compagnons de fortune est circulaire, hanté par le sentiment d’arriver soit trop tôt, soit trop tard, et par l’idée d’un éternel recommencement.
Passagen – Passages prolonge ce mouvement au présent, où Marseille se définit moins par l’arrivée ou le départ que par le transit. Le projet explore la manière dont la ville et ses lieux contiennent les stigmates du temps, comment la mémoire habite les rues et comment l’une et l’autre se reconstruisent sans cesse. Sous ou sur le bitume, l’Histoire se foule chaque jour.
Au cœur du projet se trouve le travail de Michaela Melián, artiste et musicienne allemande, dont les anciennes attaches familiales avec le sud de la France se croisent avec des liens professionnels établis dans la ville. Pour Passagen – Passages, elle a créé 17 dessins en noir et blanc, exposés dans un premier temps à la gare de La Blancarde, un lieu où l’on attend, part ou revient. Ils sont comme des signaux invitant à s’arrêter ou à poursuivre sa route. Après un certain temps, l’installation publique des dessins se déplacera vers un quartier voisin, voyageant comme les figures qu’elle évoque : déplacées, instables, insaisissables.
Le projet est né de traces. Il y a des lettres, des gestes, des itinéraires, des noms glissant hors de l’Histoire. Des traces laissées par des vies comme celles d’Helen Hessel, d’Albert O. Hirschman ou Jesús Argemi Melián. Les recherches de l’artiste questionnent comment ces histoires se transmettent, refusant de figer le sens, laissant la logique fugitive de la ville guider le processus.
Il n’y a pas d’exposition centrale, pas de rassemblement des œuvres en un seul lieu. Passagen – Passages se déploie dans un champ ouvert : un dessin, une voix à la radio, un fragment imprimé, un film, quelques discussions, une histoire à la volée. Ces gestes isolés invitent à réfléchir à ce qui persiste dans une ville poreuse façonnée par le transit. Le dessin est altéré comme les récits eux-mêmes. Ce que l’archive ne peut contenir, la ville le porte encore. Un banc public. Un visage anonyme. Une marche sans destination. Nous tournons autour de ce qui ne peut être nommé. Dans ce mouvement circulaire, les choses finissent par subsister.
Won Jin Choi
Partie du Fonds PERSPEKTIVE pour l’Art Contemporain et l’Architecture, une initiative du Bureau des Arts Visuels de l’Institut Français d’Allemagne (Facebook / Instagram).
Le projet est soutenu par Ministère de la Culture, l’Institut Français de Paris, le Goethe-Institut Marseille, le Hamburg Ministry for Culture and Media, et le Hamburg Mitte District Office.
Dans le cadre d’une bourse ifk, Michaela Melián a effectué des recherches pour le projet Passsagen – Passages au cours du semestre d’été 2025.
Marseille resists interpretation. Or rather, there are as many interpretations as there are individuals. Most of its inhabitants descend from those who came from elsewhere. Over the centuries, the Old Port has absorbed or rejected its offspring in the wake of invasions, epidemics, gatherings, reunions, opportunities. In the mid-20th century, it was war that drove Europeans in search of a new beginning onto its quays. In Anna Seghers’ novel Transit, written after her stay in Marseille in the 1940s, the narrator wanders between cafés, consulates, and hideouts, surrounded by other lives in transit. The movement of his companions in fortune is circular, haunted by the feeling of arriving either too early or too late, and by the sense of an eternal return.
Passagen – Passages extends this movement into the present, where Marseille is defined less by arrival or departure than by transit. The project explores how the city and its places bear the marks of time, how memory inhabits the streets, and how both are constantly being rebuilt. Beneath or above the asphalt, History is trampled every day.
At the heart of the project lies the work of Michaela Melián, German artist and musician, whose longstanding family ties with the south of France intersect with professional connections established in the city. For Passagen – Passages, she created 17 black-and-white drawings, first exhibited at La Blancarde station, a place where one waits, departs, or returns. They act like signals, inviting one to pause or to continue on one’s way. After some time, this public installation of drawings will move to a neighboring district, traveling like the figures it evokes: displaced, unstable, elusive.
The project was born from traces. There are letters, gestures, itineraries, names slipping out of History. Traces left by lives such as those of Helen Hessel, Albert O. Hirschman, or Jesús Argemi Melián. The artist’s research asks how these stories are transmitted, refusing to fix meaning, letting the city’s fugitive logic guide the process.
There is no central exhibition, no gathering of works in a single place. Passagen – Passages unfolds across an open field: a drawing, a voice on the radio, a printed fragment, a film, a few conversations, a story caught on the fly. These isolated gestures invite reflection on what persists in a porous city shaped by transit. The drawing is altered, like the narratives themselves. What the archive cannot contain, the city still carries. A public bench. An anonymous face. A walk without destination. We circle around what cannot be named. In this circular movement, things ultimately endure.
Won Jin Choi
Part of the PERSPEKTIVE Fund for Contemporary Art & Architecture, an initiative by the Bureau of Visual Arts of the Institut Français d’Allemagne (Facebook / Instagram).
The project is supported by the Ministry of Culture, the Institut Français de Paris, the Goethe-Institut Marseille, the Hamburg Ministry for Culture and Media, and the Hamburg Mitte District Office.
Michaela Melián researched for the Passsagen – Passages project as ifk fellow during the summer semester of 2025.
© Passagen — Passages, 2025